Catherine Choque

Le burn-out des indépendants : en quoi est-il particulier ?

Le burn-out des indépendants : en quoi est-il particulier ?

Après plus d’un an de crise sanitaire avec ses mesures drastiques et régulièrement changeantes, nous rencontrons beaucoup de personnes « craquer », être sur le fil, voire même hospitalisées suite à un mal-être psychologique important et grave. Qu’il s’agisse d’un mal-être lié à un ras-le-bol général, qu’il s’agisse d’un burn-out avec arrêt de travail ou d’une dépression grave menant à une hospitalisation, le constat est clair : la crise sanitaire a plongé la population dans une détresse psychologique importante, quel que soit le genre, l’âge, la profession, le secteur d’activités, … Tout un chacun a été plus ou moins vulnérable à différents niveaux (santé physique et santé mentale). Les indépendants n’ont pas été épargnés. Leur statut amène même des facteurs aggravants.

Le syndrome d’épuisement professionnel, un syndrome multifactoriel

Le syndrome d’épuisement professionnel ou « burn-out » qui signifie « se consumer entièrement » est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique et des professionnels du terrain. Nombre d’entre eux soulignent les maladies provoquées par le stress. Le burn-out n’en est pas une exception. De nombreux chercheurs se sont attelés à définir le burn-out. Ils se rejoignent pour convenir que le burn-out existe bel et bien et constitue un risque psycho-social pour n’importe quel travailleur, quel que soit son statut (salarié ou indépendant) et son secteur d’activité. Ainsi, le burn-out apparait suite à une consumation/perte progressive d’énergie liée à une un stress intense et chronique (déséquilibre entre la perception des exigences de l’environnement et la perception des ressources personnelles et collectives pour y répondre). La question de savoir s’il est lié directement au monde du travail divise encore.

Quoi qu’il en soit, ce syndrome est multifactoriel. Différents facteurs concourent en effet à la mise en place progressive de l’épuisement de l’individu : individuels, collectifs, organisationnels et sociétaux. Au niveau individuel, nous relevons 3 aspects, à savoir (a) le profil à risque, (b) l’hygiène de vie (l’activité physique, l’alimentation, le sommeil, etc.) et (c) le contexte de vie (ressources telles que proches, … ; événements de vie ; aspects financiers, …). La dimension collective et organisationnelle de l’entreprise ou de l’organisation, peut être envisagée en prenant en compte les 5 grandes catégories légales des risques psycho-sociaux (organisation du travail, conditions de travail, contenu du travail, conditions de vie au travail et relations interpersonnelles). Les facteurs sociétaux, quant à eux, renvoient notamment à des valeurs associées à l’exigence de la productivité et de la performance, une soif de rentabilité, à des valeurs individualistes (l’individu est devenu le seul responsable de ses succès et de ses échecs), à la digitalisation qui impose des réactions immédiates et permanentes (hyperconnexion), à l’augmentation de la pression du temps,…

Être indépendant, un groupe de professionnels à risque

Le statut d’indépendant comporte différents facteurs aggravants.

1. Passion et engagement

A la différence d’un travailleur lié à un contrat de travail, l’indépendant a, voire « est », sa propre entreprise. Tout son business, tout son chiffre d’affaires repose sur lui et lui seul, qu’il soit entouré d’une équipe plus ou moins grande de collaborateurs. Cela suppose une grande responsabilité et une grande pression (« tout repose sur moi ») et engendre dès lors une sorte de déni à prendre soin de soi (« je n’ai pas le droit d’aller mal »), sans parler d’un sentiment de solitude.

2. Omniscience

En général, et surtout au début de son activité, l’indépendant fait tout tout seul : le contenu, la prospection, des clients, les prestations, la communication, les ressources humaines quand il y a une équipe, la facturation, … Il n’y a donc pas d’équipe support (IT, RH, COM, …) pour venir soutenir l’activité centrale. Il n’y a pas non plus d’acteurs de la prévention en cas de difficultés liées à du stress, à la surcharge de travail et ses conséquences, … Il y a donc peu de garde-fous ou de lieu soupape, à l’exception peut-être des proches (conjoint, …) ou des partenaires (comptable, avocat, …), ces derniers étant eux-mêmes souvent indépendants.

3. Un temps de travail plus long et plus intense

Pour y arriver, l’indépendant va travailler beaucoup plus que la majorité des salariés. Le temps de travail hebdomadaire est plus long que le salarié (40 heures par semaine) : en général environ 70 heures par semaine. L’indépendant ne compte pas ses heures, il travaille souvent le soir, les week-ends et durant les vacances, par besoin de rentabilité, par passion, par crainte de laisser le bateau seul, … Il y a donc peu de moment d’arrêt, de soupape, … Non seulement l’indépendant doit être expert dans les différentes dimensions de son activité mais aussi responsable de son propre bien-être. De plus, en temps normal, l’indépendant prendra peu le temps pour lui, et certainement au début de la création de son entreprise. Une fois que son affaire tourne, il peut enfin, parfois, insérer l’un ou l’autre moment « ressource » avec sa famille ou ses amis ou bénéficier d’un temps pour lui-même en se consacrant à son sport, ou à une activité de détente. Les indépendants sont donc souvent sur le fil, à jongler entre les heures de travail non comptées et quelques moments restreints de détente.

4. Limite plus floue entre professionnel et privé

Les différents facteurs cités ci-dessus tendent à faire disparaitre la limite entre le professionnel et le privé. Cet effacement de cette limite est renforcé par les technologies de l’information et de la communication (smartphone, pc, …) qui permettent d’être joignable n’importe où et n’importe quand (tout, tout le temps partout), accentuant ainsi l’omniprésence ou l’hyperconnexion à son activité professionnelle.

Le contexte covid : insécurité et difficultés financières

De manière générale, l’indépendant connait donc beaucoup de pressions : la pression du chiffre, la pression de « faire tourner la boite », la pression des moyens et des résultats. La crise sanitaire n’a certainement pas contribué à améliorer la situation. Outre ses effets sur la santé mentale, la crise sanitaire a des conséquences extrêmement délétères sur l’activité même des indépendants : impact sur le chiffre d’affaires, incertitudes quant à l’avenir, bouleversement dans la gestion de l’entreprise,… Avec l’arrêt de travail obligatoire pour certains ou le changement du mode de fonctionnement lié aux mesures pour les autres, l’indépendant a dû faire face à de nouveaux facteurs de stress supplémentaires à ceux qui existaient déjà ultérieurement inhérents à l’activité d’indépendant. Qu’ils soient restaurateurs, coiffeurs, infirmiers, consultants RH, juristes, architectes ou médecins, tous se sont vus bouleversés dans leurs habitudes avec des mesures strictes à respecter ayant pour conséquence une baisse considérable de leurs recettes financières alors que les factures continuent à arriver. Par ailleurs, cette augmentation de stress a été accompagné par un manque de ressources fondamentales déjà faibles en temps habituel : contacts sociaux limités, accès au sport limité, accès à une activité de loisir limité, etc.

L’augmentation du stress et la diminution des ressources a pour conséquence l’arrivée du burn-out associé ou non d’affects dépressifs, ou de dépression. En effet, l’activité d’indépendant en cette période de crise à contribuer à un stress chronique, c’est-à-dire un stress intense et de longue durée, provoqué par un déséquilibre prolongé entre l’investissement de la personne et ce qu’elle reçoit en retour (pour reprendre la définition du Conseil Supérieur de la Santé), provoquant un épuisement physique et mental affectant le contrôle des émotions et les processus cognitifs, impliquant par ailleurs un changement de comportement et d’attitude.

Comment se ressourcer quand on est indépendant ?

Plus que jamais, il est important de se ressourcer. Après une année difficile, pleine d’incertitudes, de nouveaux défis avec une augmentation du stress, il est important de trouver un juste équilibre entre le travail et un temps pour soi. C’est en récupérant, en prenant le temps de se poser qu’on parvient davantage à tenir sur le long terme. En effet, le stress est une bonne chose en soi à condition qu’il ne dure pas et qu’à un moment il redescende et nous permette de vivre une vie plus au calme à un rythme plus équilibré. De ce fait, il est indispensable de continuer à travailler, certes, mais de prévoir des plages où l’indépendant va pouvoir pratiquer du sport, avoir une activité de détente, prendre du temps pour se reposer, respirer, se détendre et donc permettre un certain recul par rapport au travail pour mieux travailler par la suite. Le fait de prendre du temps pour se ressourcer va amener une meilleure performance par la suite tout en gardant du plaisir dans ce travail.